Hydrogène vert : la France rattrape-t-elle son retard ?

Alors que la neutralité carbone à l’horizon 2050 s’impose comme une priorité en Europe, l’essor de l’hydrogène « vert » cristallise tous les enjeux : compétition internationale, souveraineté industrielle et innovation technologique.

Derrière le déploiement massif de l’éolien et du photovoltaïque, c’est surtout la capacité à industrialiser l’électrolyse décarbonée qui déterminera la place de la France dans cette nouvelle économie. Mais entre ambitions affichées, soutien public annoncé et retards accumulés, le secteur hexagonal peine à trouver un second souffle, pris en étau entre les géants étrangers et ses propres incertitudes stratégiques. Reste un écosystème en pleine recomposition, où de grands groupes (Air Liquide, ENGIE, EDF, TotalEnergies) croisent la voie de spécialistes français (Lhyfe, McPhy, H2V, Volterres) et d’acteurs industriels historiques (Alstom, Groupe Renault, Hydrogène de France).

Quels leviers d’optimisation pour rattraper le retard ? À quelles conditions la filière française pourra-t-elle s’imposer dans l’arène européenne et mondiale ? Cet article fait le point sur les chiffres, les tendances majeures et fournit une vision opérationnelle pour les décideurs cherchant à anticiper ce tournant technologique majeur.

Hydrogène vert en France : état des lieux et défis clés

L’hydrogène est déjà omniprésent dans l’industrie française, mais il s’agit à 95% d’hydrogène gris, produit par vapo-reformage du gaz naturel, soit un procédé fortement émetteur de CO₂. Le secteur consomme environ 900 000 tonnes par an en France, principalement dans la pétrochimie, la sidérurgie et la chimie (ADEME, 2024). Pourtant, moins de 1% de ce volume provient à ce jour d’hydrogène « vert », issu d’électrolyse alimentée par des énergies renouvelables.

La feuille de route française, présentée initialement en 2021, misait sur 6,5 GW installés à l’horizon 2030 et 10% de part de marché européenne (ADEME). Mais la stratégie nationale, censée détailler les modalités précises, accuse aujourd’hui un retard notoire : elle n’a toujours pas été validée à l’heure de l’adoption du budget 2025 (La Tribune).

Ce flou réglementaire a fragilisé de nombreux acteurs : faillites en série parmi les start-up de l’électrolyse, recentrage ou rachat de sociétés clés (la reprise de Safra, constructeur de bus à hydrogène, par un fonds chinois), et une confiance des investisseurs entamée. Malgré ce contexte, certains pionniers tirent leur épingle du jeu. Lhyfe par exemple a inauguré en 2021 le premier site mondial raccordé à un parc éolien, tandis que McPhy ou H2V accélèrent la maturation des chaînes industrielles.

  • 95% de l’hydrogène français est encore d’origine fossile (gris).
  • Objectif 2030 : 6,5 GW d’électrolyse selon la feuille de route initiale.
  • Une dizaine de projets industriels lancés, mais seuls quelques-uns sont en phase opérationnelle.
AnnéeCapacité installée (MW)Capacité visée (GW, feuille de route)Part de « vert » dans l’hydrogène
20231306,5<1%
2025 (cible)5006,5~3%
2030 (cible)6 5006,5~10%

L’urgence : sécuriser la montée en puissance de la production française et structurer la demande industrielle autour des leaders : Air Liquide développe son « cluster » bas-carbone à Port-Jérôme, ENGIE multiplie les partenariats dans la mobilité, TotalEnergies ou EDF investissent dans la chaîne de valeur complète. Reste à décliner ces ambitions à l’échelle territoriale, en synergie avec des PME comme Volterres ou Hydrogène de France.

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Dynamique de consolidation : mort des PME ou émergence de champions ?

La multiplication des défaillances entre 2023 et 2024 (une dizaine recensées sur l’hexagone) pose la question de la viabilité du modèle « start-up nation » dans un secteur capitalistique, où l’effet d’échelle est déterminant. Matthieu Guesné (Lhyfe) voit dans cet écrémage un stade naturel du cycle industriel, soulignant que la sélection est indispensable pour bâtir des champions nationaux et européens.

La consolidation actuelle annonce-t-elle l’émergence de super-acteurs à la française ou une future domination des fonds étrangers ? Pour comprendre cette recomposition, il faut observer les consortiums qui se forment autour de grands industriels (ex : Air Liquide, McPhy, ENGIE, TotalEnergies), les alliances territoriales (port du Havre, Grand Est, Fos-sur-Mer) et la structuration de marchés tests, comme celui du transport public (bus à hydrogène avec Safra puis Alstom, véhicules utilitaires avec Groupe Renault).

  • Air Liquide : projet Normand’Hy (>200 MW d’ici 2027)
  • McPhy : gigafactory d’électrolyseurs à Belfort (capacité cible : 1 GW/an)
  • Alstom/Groupe Renault : consortium Hyvia, focus sur flottes utilitaires et stations H2

Le résultat : une course de vitesse face aux géants allemands, ibériques ou asiatiques. Certes, les consolidations fragilisent le tissu de PME innovantes, mais elles permettent d’optimiser les ressources et d’accélérer l’industrialisation, condition sine qua non pour challenger les leaders mondiaux. Pour aller plus loin, voir l’analyse sociétale sur Le Figaro.

https://www.youtube.com/watch?v=xQDtHZ00MwQ

En parallèle, la question de la souveraineté technologique surgit : faut-il privilégier les solutions françaises ou attirer le meilleur des offres globales ? Plus d’explications sur Observor.

Compétitivité : coûts de production, financements et frontières technologiques

Le coût de production reste le principal verrou pour l’hydrogène vert en France. Selon l’ADEME (2024), le prix du kilo oscille entre 4 et 8 € en sortie d’électrolyse, soit deux à quatre fois le coût de l’hydrogène fossile. Ces écarts reflètent la dépendance au prix de l’électricité décarbonée et à la taille des unités industrielles.

  • Prix actuel (kWh) : la France bénéficie d’un mix électrique bas-carbone mais : intermittence éolienne, contraintes sur le nucléaire (Green Finance).
  • Capex/Opex : la compétitivité s’améliore avec la taille des projets (effet d’échelle déjà démontré en Allemagne et au Danemark).
  • Soutien public : sur trois ans, 9 Md€ d’argent public annoncés (mais fléchages encore incertains).
ParamètreHydrogène vert (France)Hydrogène gris (France)Hydrogène vert (Chine)
Coût production (€/kg)4-81,5-2<4
Soutien public directOui (9 Md€ prévu)NonOui
Capacité projets phares10-200 MWn/a500-1 000 MW

Le financement, pierre angulaire du modèle, révèle une complexité réglementaire : les aides d’État doivent être compatibles avec la législation européenne, ce qui retarde certains déblocages (Presse-Citron). Face à cette inertie, les concurrents – en particulier chinois – multiplient les « méga-trains » industriels, profitant d’une coordination public-privé plus agile et offensive.

Le grand enjeu de compétitivité, réside dans la capacité à abaisser les coûts grâce à l’apprentissage collectif, à la massification des sites et à l’optimisation des chaînes logistiques, en capitalisant sur les experts nationaux (TotalEnergies, EDF, Air Liquide) comme sur le recours à la robotisation et à l’IA pour optimiser les flux.

Enfin, le développement de technologies propriétaires voit s’affronter McPhy, H2V ou Volterres, chacun misant sur des électrolyseurs nouvelle génération, promettant d’augmenter les rendements et de baisser le coût total de production.

Soutenabilités économiques et enjeux de souveraineté européenne

Au-delà de la maîtrise des coûts, la France doit anticiper la demande : sans cadre réglementaire stable, peu de grands groupes s’engagent sur des contrats long terme. La compétition européenne se concentre aujourd’hui sur la capacité à ancrer l’hydrogène vert dans des filières critiques (mobilité lourde, process industriels), sous peine de voir le marché déporté hors UE.

  • Risques de dépendance aux importations H2 à bas coût (Les Echos).
  • Opportunités pour la réindustrialisation, si les chaînes de valeur complètes (production, transport, usage) sont sécurisées avec les grands industriels.
  • Stratégie européenne (IPCEI) : priorité donnée à l’émergence de leaders européens pour éviter une fragmentation du marché.

L’articulation, entre investissements publics, ancrage territorial et innovations technologiques, reste le levier déterminant pour optimiser la compétitivité française sur 5 ans.

https://twitter.com/XerfiCanal/status/1863583844126839185

Usages stratégiques et marchés prioritaires pour l’hydrogène vert

L’adoption de l’hydrogène vert en France passe par une orientation vers les usages où il offre un avantage compétitif clair. Trois secteurs apparaissent stratégiques : l’industrie lourde (sidérurgie, chimie), la mobilité et les systèmes énergétiques.

  • Secteur industriel : conversion progressive d’usines existantes (via Air Liquide/Nouryon pour la chimie, TotalEnergies/EDF dans le raffinage), projets pilotes à la clé.
  • Mobilité : développement de bus et trains (Alstom, Safra – ex-français), lancement de stations H2 pour véhicules utilitaires (partenariat Groupe Renault-Hyvia, initiatives Volterres).
  • Énergie : couplage avec les renouvelables pour stocker l’électricité et la valoriser en hiver ou lors des pics de demande.
UsageSites pilotesActeurs impliquésImpact attendu (tCO₂/an)
Sidérurgie verteDunkerque, Fos-sur-MerAir Liquide / ArcelorMittal–200.000
Mobilité lourdeOccitanie, BourgogneAlstom, Groupe Renault, Safra–30.000
Stockage énergieVendée, Grand EstLhyfe, Volterresn.d.

L’effet d’entraînement ne sera réel qu’à condition de déployer massivement les infrastructures : stations de recharge, pipelines de transport, hubs portuaires. En ce sens, la stratégie nationale doit clarifier le rôle des collectivités et inciter via des marchés publics fléchés.

Exemple marquant : le train régional hydrogène Coradia iLint d’Alstom, en service expérimental dans le Grand Est, montre la voie pour décarboner les lignes non électrifiées ; le partenariat Hyvia vise à doter les métropoles de stations-service H2 mutualisées pour véhicules logistiques.

  • Multiplication des marchés publics pour véhicules lourds à hydrogène.
  • Lancement de hubs portuaires (projet H2V à Fos et au Havre).
  • Approches intégrées par territoire pour coupler production-renouvelables – usages industriels.

Pour suivre la dynamique sectorielle ou accéder à des ressources pratiques : Observor Ressources et Green Finance.

Dispositifs de soutien, partenariats et modèle de gouvernance

Le rattrapage du retard français passe par la structuration d’une gouvernance unifiée (État, régions, industriels), l’accélération des procédures administratives et la mobilisation de financements publics et privés. Plusieurs outils sont mobilisés depuis 2021 : crédits budgétaires, appels à projets France 2030, subventions IPCEI à l’échelle européenne.

  • Guichet France 2030 : doté de 2 Md€ dédiés à l’hydrogène, motorise la création de laboratoires, usines pilotes, stations-service (Observor Services).
  • Mécanismes européens : IPCEI – projets d’intérêt commun – vise cofinancer gigafactories et hubs territoriaux.
  • Alliances privées : cofinancements industriels entre Air Liquide, EDF, ENGIE, TotalEnergies, H2V, Volterres.
DispositifEnveloppeProjet phareEffet levier
France 20302 Md€H2 ExcellenceTest techno/passerelles industrielles
IPCEI UE6 Md€ (EU + France)Gigafactories McPhyAccélération mise à l’échelle
Appels régionaux600 M€Hubs portuairesAncrage local

À la clé, un nouveau modèle d’innovation ouverte : Lhyfe ou Hydrogène de France se développent grâce à l’intégration dans des écosystèmes de territoires (synergies Valenciennes-Lens ou Nantes-Saint-Nazaire), alors que McPhy, Volterres ou H2V misent sur la co-innovation avec les industriels européens.

  • Vision centralisée (État) à compléter de stratégies régionales pour anticiper les besoins locaux.
  • Mise en réseau des clusters pour partager les bonnes pratiques et optimiser les financements.
  • Capacité à attirer des fonds privés grâce à l’effet d’entraînement des dispositifs publics.

Pour un tour d’horizon détaillé des dispositifs : Observor Ressources-Expertises et Banque des Territoires.

Perspectives 3‑5 ans : D’ici 2028, l’enjeu pour la France sera d’optimiser la coordination des différents dispositifs de financement et d’harmoniser les procédures administratives afin de réduire les temps de déploiement industriels. L’objectif réaliste reste de sécuriser 1 GW supplémentaire de capacités opérationnelles chaque année, d’associer les collectivités dans la gouvernance et de muscler la formation/réindustrialisation sur les territoires. Un alignement soutenu des acteurs publics, privés et locaux sous l’égide européenne sera déterminant pour rattraper le retard, tout en gardant la main sur la propriété intellectuelle française et européenne.
3 recommandations actionnables
  • Optimiser le fléchage des financements publics vers les consortiums réunissant industriels majeurs (Air Liquide, ENGIE, EDF, TotalEnergies) et PME spécialistes (McPhy, H2V, Volterres).
  • Anticiper les besoins de formation et de compétences techniques en adaptant l’offre de formation continue post-bac sur les métiers de l’électrolyse et de l’exploitation H2.
  • Sécuriser la chaîne de valeur nationale en contractualisant davantage de marchés publics locaux pour créer des débouchés (mobilité lourde, ports, industries).

FAQ : Hydrogène vert et rattrapage français

  • Où en est la France par rapport à l’Allemagne et à la Chine ?

    L’Allemagne dispose déjà de capacités industrielles nettement supérieures (1 GW opérationnel annoncé pour 2026), tandis que la Chine pilote des projets industriels XXL (>500 MW par site). La France, avec sa cible de 6,5 GW en 2030, cherche à accélérer mais reste à la traîne en volumes et en cadence de déploiement. Source

  • Quels secteurs adopteront l’hydrogène vert en premier ?

    L’industrie lourde (sidérurgie, chimie) suivie de la mobilité lourde (bus, camions, trains non électrifiés), avant l’extension à l’aviation ou au stockage massif d’énergies renouvelables. Voir l’étude de l’ADEME sur Hydrogen Today.

  • Pourquoi la filière a-t-elle connu tant de faillites depuis 2023 ?

    L’amorçage du secteur exige des financements très lourds, une stabilité réglementaire et des débouchés industriels rapides. Le retard de la stratégie nationale et l’absence de signaux de marché clairs ont fragilisé nombre de PME françaises.

  • L’hydrogène vert sera-t-il rentable à court terme ?

    Selon l’ADEME, la compétitivité est accessible d’ici 2030 avec la baisse du coût des électrolyseurs et l’amorce de marchés de masse, à condition d’optimiser les synergies industrielles et la massification des infrastructures. Source

  • Où trouver analyses et ressources actualisées ?

    Plusieurs portails : Observor, Green Finance, Ressources-Expertises Observor, ou les rapports dédiés de l’ADEME et de France Hydrogène.

 

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